Confronté à une récolte de cacao décevante en Côte d’Ivoire, le Président Alassane Ouattara envisage de maintenir les exonérations sur la taxe à l’export pour les négociants nationaux. Cette mesure intervient au moment où ce secteur clé de l’économie ivoirienne est secoué par une baisse de la production, conséquence directe d’une météo capricieuse au cours de la saison 2023-2024.
Au cours de cette campagne, des pluies abondantes ont inondé de vastes étendues de terres cultivables, entravant gravement la production de cacao, essentielle tant pour le pays que pour ses partenaires commerciaux internationaux. Selon les anticipations de Yves Brahima Koné, directeur général du Conseil du Café et du Cacao (CCC), la production cacaoyère devrait baisser de 25% pour la saison. Sur le marché international, où la Côte d’Ivoire expédie l’or brun, les acheteurs potentiels, notamment les mastodontes de l’industrie chocolatière, font le pied de grue.
« Personne ne peut payer les contrats de 2024/2025 sans une réduction du différentiel sur l’origine. Les prix sont trop élevés et cela crée trop de risques pour nous si le marché se retourne et si les prix chutent » confiait en octobre dernier, le directeur d’une multinationale à Reuters. Dans l’ensemble de l’écosystème, l’atmosphère est à l’attentisme. Cette crainte se répercute sur les négociants qui expédient la matière première depuis le port de San Pédro à l’ouest du pays, où, d’après les premières statistiques cette année, le trafic a baissé.
La décision de maintenir les avantages accordés aux exportateurs locaux, fera bientôt l’objet d’une réunion d’un comité interministériel sur les matières premières pour en définir les modalités. Si celle-ci est entérinée, elle pourrait, être une bouée de sauvetage pour les membres du Groupement des négociants ivoiriens (GNI), actuellement en proie à une réduction significative de la production et une industrie chocolatière qui réclame un ajustement du différentiel lié à l’origine avant le règlement des contrats pour 2024/2025. Les récentes informations révèlent que les exportateurs ne réussissent à honorer leurs engagements qu’à hauteur de 40 à 60 %. Le spectre de la cessation d’activité rôde, instillant un climat d’inquiétude au sein du secteur.
Ces acteurs avaient déjà dû lutter contre l’hégémonie des multinationales pour revendiquer une part accrue des contrats de commercialisation du cacao. Tandis que Barry Callebaut (Suisse), Olam (Singapour), Cargill (États-Unis), Ecom (Suisse) et les entités françaises Sucden et Touton, dominent largement le marché ivoirien, s’appropriant la majeure partie de la production nationale de cacao, dont plus de 80 % est destinée à l’Europe. En réponse à leurs revendications, le gouvernement d’Alassane Ouattara avait finalement instauré un quota de 20% des contrats d’achat aux exportateurs locaux. Aussi, depuis 2012, peu après son investiture, Alassane Ouattara avait instauré des exonérations fiscales pour ces acteurs, d’années en années, en fonction des fluctuations du marché.
Ces exonérations, sujet de discorde lors de la précédente campagne, se chiffraient entre 30 et 35 francs CFA par kilogramme de fèves, pour un volume de 250 000 à 300 000 tonnes, soit à peu près le quota de 20 % réservé aux acteurs locaux. Le nouveau décret en préparation tranche avec la position précédente de l’ancien Premier ministre, Patrick Achi qui avait plaidé pour la suppression de ces exonérations, argumentant que ces dernières étaient en contradiction avec la stratégie nationale d’industrialisation visant à privilégier l’exportation de produits semi-finis ou finis d’ici à 2030. Toutefois, la réalité du terrain et l’urgence de la situation ont poussé le Gouvernement à un revirement stratégique.
Pour Abidjan, alors que le secteur s’apprête à affronter une baisse de 25 % des arrivées pour la récolte principale, cette politique de soutien fiscal s’imposait comme une réponse pragmatique à la crise.
Cette réduction de l’offre a entraîné une hausse significative des prix du cacao sur les marchés internationaux, atteignant des niveaux record. Malgré cette augmentation des prix, les producteurs locaux et le pays en général pourraient ne pas bénéficier pleinement de cette conjoncture en raison de la structure de fixation des prix du cacao. Il faut noter que, bien que représentant 40% de l’offre mondiale, la Côte d’Ivoire bénéficie peu des revenus générés par le secteur chocolatier, dont ses fèves représentent l’ingrédient le plus important dans la confection de barres de chocolat.
Pour peser dans la balance et assurer un revenu décent à ses plus de 1 million de producteurs, le gouvernement ivoirien, en collaboration avec le Ghana – les deux pays représentent 60% de l’offre mondiale – continue de jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale pour la défense des intérêts des producteurs de cacao. En créant une OPEP du cacao, les deux pays cherchent à exercer une influence plus significative sur les prix mondiaux, au bénéfice des millions d’agriculteurs qui dépendent de cette culture pour leur subsistance. Mais leurs ambitions ne s’arrêtent pas là : ils visent désormais à accroître la valeur ajoutée du secteur en se positionnant davantage sur la transformation de ce produit phare.